La vie, c’est du mouvement. Toute émergence est de type énergétique. Ce sont des vibrations plus ou moins denses qui apparaissent sous forme d’objet dans notre champ de conscience. C’est notre cortex qui traduit ces ondes en images. Pour qu’il y ait du mouvement, soit un effet, il est besoin d’une cause antérieure. Ce sont les deux bouts de la réalité. Pour être animés, tous les objets sont alimentés par deux pôles. Aucun courant électrique ou électromagnétique n’existe sans deux « bornes » initiales. Ainsi l’aspect Yin et l’aspect Yang du Tai Chi forment l’axiome de base à toute réalité, tangible en premier lieu. Nous pouvons remplacer ces termes chinois par le pôle – et le pôle + de la physique, mais aussi par le côté féminin et le côté masculin de chaque forme. Par analogie, un aimant formé obligatoirement de deux pôles opposés à chaque extrémité peut être coupé autant de fois sans modifier ce principe initial binaire. Ainsi pour chaque personne, les deux forces, féminine et masculine, agissent de concert et trop souvent en dualité au niveau psycho–corporel à cause du psycho–mental.

Les « existants » cherchent en permanence l’équilibre, l’homéostasie entre les forces extrêmes qui poussent au déséquilibre. Cependant, sans déséquilibre, il ne pourrait y avoir d’action. Cette ambiguïté se trouve au cœur des processus du vivant et n’est pas spécifique au genre humain. Le Tai Chi représente donc la relation que nous pouvons entretenir avec nous–même, à travers les forces duelles ou/et complémentaires qui nous constituent et nous traversent. Il représente aussi les relations à l’autre. Cet autre sera–t–il vécu comme un étranger, adversaire, soit en dualité destructurante, ou bien comme l’autre face momentanée de nous–même, propre à nous enrichir mutuellement. Cet autre, différent, n’entraîne plus de « différent » et devient un partenaire avec lequel nous pouvons être créatif, récréatif.

La vision séculaire énergétique des chinois rejoint la physique moderne ondulatoire. Tous les objets peuvent être définis en terme électromagnétique, soit en production énergétique. Les chinois nomme l’énergie vitale le Chi, et toutes les formes statiques ou dynamiques sont qualifiées en terme de Chi. De ce point de vue découle nécessairement une vision fluide et interactive de l’existence. Le fait d’objectiver la matière engendre une certaine attitude de fixité, lourdeur et inertie. Obnubilé par la rationalité des objets, nous pouvons en oublier leur mouvement interne et externe, leur transformation. La capacité d’adaptation est la conséquence d’une vision fluide et active de l’univers. Prenons la métaphore d’une rivière et de son courant inhérent. Chaque individu peut s’opposer au sens du courant, résister pour se poser (son moi) ou alors nager dans le sens du courant, se reposer en découvrant les joies de la flottaison et les variétés du paysage. Le concept de mutation se trouve au cœur des préoccupations de la philosophie naturaliste du Tao, dont les deux émissaires Yin et Yang le révèlent.

Le terme générique de Tai Chi, bien qu’il soit en écriture chinoise, est un principe naturel universel. Nous n’avons pas besoin d’être né en Chine pour le comprendre et l’utiliser.

La Pratique

Le Tai Chi Chuan est un outil de compréhension et d’intégration de la philosophie pratique du Tao et du Tai Chi. Il peut être considérer comme une gymnastique de santé, une méditation en mouvement, un art martial très doux ou un art martial interne. Dans ce dernier cas, il se vit comme un art de lutte avec saisies, projections et frappes.

En pratique les séances de Tai Chi Chuan s’articulent autour d’exercices d’étirements, d’ouverture des articulations, de renforcement musculaire des jambes, d’équilibres, de découverte de sensations proprioceptives, de coordinations, de respiration, d’ancrage, de mémorisation…

Tous les gestes sont principalement développés dans la lenteur afin d’amener le pratiquant à sentir de l’intérieur la formation des mouvements. Ce sont les muscles profonds de structure qui sont sollicités. Nous pouvons placer ce type de travail entre un placement isométrique et une dynamique de surface. La lenteur d’exécution favorise l’entrée d’un vécu conscient par lequel nous gouttons pleinement la cohésion et le développé des mouvements.

La coordination ne se fait pas de façon carrée mais se réalise à travers le cercle, avec la particularité de ne pas interrompre les gestes. Le cercle nous ramène à une vision cyclique et continue tandis que le carré nous pose sur un point de vue linéaire et brisé (fini). Le déroulement du Tai Chi Chuan est à l’image d’une projection cinématographique dans laquelle les photos qui en composent sa bande n’apparaissent pas. Le mouvement semble perpétuel et s’enrichit d’un va et vient entre les valeurs Yin et les valeurs Yang. Ce type de coordination favorise la connexion entre l’hémisphère gauche rationnel Yang et l’hémisphère droit irrationnel Yin. L’imagination structurée devient alors de l’imaginaire constructif et créatif. Le système nerveux avec l’orthosympathique Yang et le parasympathique Yin retrouve progressivement une meilleure entente.

Les anciens peuples animistes, proches de la nature, disaient qu’il ne fallait pas rompre le cercle (symbole de l’harmonie). Nous retrouvons dans cette discipline des accointances avec ces vieilles traditions naturalistes.

Lorsque nous voulons nous éprouver dans la relation à l’autre, il existe des exercices avec partenaires, sorte de lutte plus ou moins douce, où l’intérêt réside à ne pas rompre le contact avec son partenaire. Le contact est rempli d’informations kinesthésiques; il est bénéfique à plus d’un titre. Il nous met directement devant notre capacité d’adaptation, de réaction, de fluidité et d’ancrage au sol. Il est intéressant de ne pas vivre ces exercices avec un calcul préétabli mais plutôt de laisser émerger la réponse adéquate et spontanée. La dureté combative ne permet pas la réalisation de partenariat et le plaisir qui en découle.

Notre propre vision ou notre conscience filtrée nous montre morcelés. Notre éducation liée à une spécialisation cartésienne issue d’un désir de tout cataloguer pour contrôler, s’oppose à réaliser le corps global. Or en reprenant avec bon sens les données métaphysiques citées au début de cette synthèse, nous pouvons recouvrer tous nos sens et nous vivre de façon holistique, en intégrant l’autre comme un reflet partiel de nous–même. Se voir à travers l’autre devient jubilatoire, soit un jeu pour transcender nos peurs enfermantes qui rétrécissent notre champ de vie.


Écrit par Jean-Jacques Galinier, Expert en Taiji Quan style Yang et Chen, pour le magazine Tai Chi Mag.